samedi 12 mai 2012

Réflexions sur la dissuasion nucléaire.

Dans le contexte de restriction budgétaire actuel, le budget du ministère de la Défense connaitra une nouvelle baisse de ses crédits. La dissuasion nucléaire, assurance-vie de la France, représente une part non-négligeable des dépenses des forces armées ; 10,92 % en moyenne depuis l'an 2000.
Si la disparition pure est simple ne parait ni envisageable ni souhaitable, la question de la réduction de son ampleur peut légitiment se poser. En effet, la France dispose de 300 têtes nucléaires, soit moins de 2 % des têtes existantes, mais 3 fois plus que celles à disposition d'Israël dont la situation géopolitique est plus brûlante que la nôtre.

La dissuasion repose sur deux piliers : 
  1. la Force aérienne stratégique (FAS), équipée de rafales, de ravitailleurs, de mirages 2000 soit 3 escadrons dont un de ravitailleurs ;
  2. la Force océanique stratégique (FOST) équipée des SNLE (4) et SNA (6), les seconds devant, entre autre, protéger les premiers. 
Avantages et inconvénients des FAS.

Le vecteur aérien a l'avantage d'être mobilisable très rapidement et d'être déployé à grande distance rapidement. Bien que son allonge soit limitée à 1900 km environ, le ravitaillement en vol ou au sol sur des bases-relais permet de rallonger celle-ci.  Il faut ajouter à ce rayon d'action la porté du missile nucléaire ASMP-A : 800 km. Malgré tout, cela pose un gros problème : la destruction ou l'indisponibilité des ravitailleurs réduit drastiquement le rayon d'action de la FAS ; de surcroit, le rafale ou le mirage pourrait être aisément (?) détruit dans le cas d'une interception face à un adversaire disposant des technologies nécessaires -- surtout que l'utilisation de l'arme nucléaire ne pourrait être que difficilement justifiée face à un adversaire inférieur technologiquement.

Avantages et inconvénients des FOST.

Les SNLE ont l'avantage :
  • d'une discrétion pour ainsi absolue -- l'accident entre le Le Triomphant et le HMS Vanguard le prouve ;
  •  d'un rayon d'action limité uniquement par le ravitaillement en vivre de l'équipage, soit 70 jours ;
  • d'un armement d'une portée de plus de 8 000 km.
L'inconvénient principal est le délai de tir dû à la vitesse du SNLE mais il reste limité car un tir sur la capitale de la Nouvelle-Zélande, Wellington, depuis un sous-marin partant de la base de l'Ile longue prendrait entre 10 (passage par l'arctique et le détroit de Béring) et 15 jours (passage par le Cap de Bonne-Espérance). 

Comparaison budgétaire.


Le graphique ci-dessus, réalisé à partir des avis de la Commission de la Défense sur le lois des finances, montre que la FOST représente la majeur partie des coûts du fait de la construction des SNLE de la classe Triomphant (4 282 millions l'unité pour un dépassement de coût de près de 59 %), des missiles M-51, des adaptations des infrastructures... Apparemment, la FOST représente 50 % des crédits sur la période 2009-2014.
Les Forces aériennes stratégiques représentent un coût extrêmement limité par rapport à la FOST mais doit faire face au problème du remplacement des indispensables ravitailleurs. Par contre, les rafales ont l'avantage d'être peu coûteux par rapport aux sous-marinx et surtout plus nombreux : 142,3 millions d'euros par appareil.
La perte d'un SNLE serait une catastrophe budgétaire (et environnementale) tandis que le rafale peut facilement être remplacé pour un coût 30 fois inférieur.


Conclusion.





La baisse du budget de la Défense oblige à faire des choix, en particulier en terme d'équipement des forces bien que cela soit souvent contreproductif sur le long terme. S'ils ont effectivement baissé, les crédits alloués à l'équipement de la dissuasion n'ont pas suivi la même pente : la dissuasion est bien "sanctuarisée". Le démantèlement d'une des composantes pourrait dégager des fonds pour financer d'autres équipements à budget constant. La disparition des SNLE ne parait pas possible car les SNLE de la classe Le Triomphant sont neufs et la majorité des dépenses d'équipement ont été faites. De plus, c'est celle qui parait la plus fiable car la destruction des SNLE au cours d'un conflit parait peut probable aujourd'hui et dans les années à venir. La disparition des FAS implique des économies plus faibles mais permettrait de redéployer les appareils sur des missions classiques et de régler le problème des avions-ravitailleurs, du moins pour quelques temps. Par contre, le non-renouvellement des SNLE dans une trentaine d'année permettrait de financer largement deux porte-avions et un ou deux SNA supplémentaires.


Sources

6 commentaires:

Le marquis de Seignelay a dit…

Je ne suis pas d'accord avec la position de l'auteur (c'est le but, louable, d'ouvrir le débat).

Le grand avantage des FAS, c'est leur diplomatie. Cela permet de bien montrer l'arme nucléaire à une personne qui ferait monter les affaires aux extrêmes.

Il ne faudrait pas oublier que les Rafale du porte-avions peuvent également délivrer cette arme.

En ce qui concerne la FOST, il s'agit de 1,5 SNLE à la mer en permanence. C'est-à-dire que quand l'un quitte Brest, un autre arrive. Cela veut dire qu'il y a au moins deux SNLE prêt à lancer ses missiles, dont l'un au moins est en patrouille.

Je suis surpris du choix de la Nouvelle-Zélande a atomisé. Sinon, pour couvrir l'île Monde, c'est assez pratique.

Le M6 devrait atteindre les 11 000 km de portée.

Enfin, ce que "tout le monde" craint, c'est que la suppression de l'une des deux composantes entraîne des pertes de crédits budgétaires irrémédiable.

Personne n'ose croire que le retrait des SNLE, ou leur aménagement dans une mission plus conventionnelle, se fera à budget constant.

Par ailleurs, veuillez noter que l'existence des SNLE exige un minimum de six SNA et de plus ou moins 9 frégates ASM, d'une composante de patrouille maritime, d'une autre anti-mines, et d'autres équipements. Cela permet de maintenir un certain format aux forces conventionnelles.

Mais si les SNLE "sautent", alors il est certain que le nombre de SNA diminuera.

Après tout, pour escorter le groupe aéronaval, il n'y a besoin que de 4 frégates ASM et deux ou trois chasseurs de mines projetables.

Le marquis de Seignelay a dit…

Je souhaiterais ajouter deux ou trois petites choses.

La première, c'est que la FOST représente une somme d'une trentaine de milliards d'euros pour 4 vecteurs et trois lots de missiles.

C'est énorme.

Mais il faut également considérer que c'est en raison de cet outil militaire que la France est "leader" dans un certain nombre de domaines industriels et scientifiques, comme l'Espace. Ariane, c'est la soeur des missiles balistiques de la série "M".

Les Anglais ont également une dissuasion océanique. Ils n'ont plus que celle-là.

Mais toutes les parties industrielles ou scientifiques sont "achetées" aux américains en vertu des accords de Nassau.

Ils dépensent également une trentaine de milliards d'euros pour le même outil que la France : les retombées économiques "souveraines" en moins.

Enfin, j'ai oublié de dire que la FOST, c'est aussi une survivabilité exceptionnelle : si aucune protection est absolue, on ne craint pas grand monde qui cherche à détruire nos navires. Et à l'heure actuelle, la géographie aide beaucoup...

Le marquis de Seignelay a dit…

Aussi, j'oubliais également que la dissuasion nucléaire, et sa capacité à être un outil de "seconde frappe" (bien que le discours de l'Ile Longue de 2006 ouvre la porte de la possibilité de frapper en premier) est une question "d'assurance vie". La dissuasion est l'expression matérielle de la solution politique trouvée à la défaite de 1940 : quand la France était menacée dans son existence.

Pour changer de paradigme, il faut en trouver un nouveau. Hors, le temps n'est pas à constituer des forces armées (conventionnelles) suffisantes pour garantir l'unité souveraine de l'Archipel France.

Et des forces armées nombreuses seront-elles suffisantes pour bousculer la hiérarchie des Etats dans la société internationale ? L'Inde aura bientôt trois porte-avions, mais toujours pas de siège au conseil de sécurité de l'ONU.

AF_Sobocinski a dit…

Merci pour les trois commentaires.

Le but de mon article était d'exposer un certain nombre de "pour" et de "contre" sur les deux forces pour réfléchir à la disparition d'une des deux composantes si cela s'avérait absolument nécessaire.
Même si j'ai voulu être équilibré dans l'article, c'est la FOST qui devrait être conservé à mon avis car la plus avantageuse ; vos ajouts ne faisant que conforter ma position.
Le problème, c'est que ce sont les forces conventionnelles qui sont toujours sacrifiées tandis que la dissuasion est moins touchée alors que la FOST me parait suffisante. Au pire, on peut laisser quelques ASMP sur le Charles de Gaulle au cas où les SNLE ne seraient pas disponibles à cause d'un accident.
Concernant la Nouvelle-Zélande, c'est juste pour la démonstration. Pour ne pas faire de jaloux : Pékin, 9h ; Islamabad, Oh ; Jakarta, 6,5 jours; Los Angeles, 11h.
Pour ce qui est du changement de paradigme, je ne vois que l'utopique Europe de la Défense.

Le marquis de Seignelay a dit…

L'Europe de la Défense est utopique puisque, comme je le disais sous un autre de tes articles, à propos d'une Marine européenne, même quand une coopération européenne a minima et ciblée va dans l'intérêt des Etats, ils ne la pratiquent pas ! Le comportement devient tellement déraisonnable qu'il va à l'encontre de l'intérêt des Etats.

J'ai à l'esprit l'Angleterre qui n'a jamais pu et voulu coopérer avec la France dans la construction de sous-marins nucléaires. Une coopération sur le matériel permettrait de partager les coûts. Mais les accords de Nassau imposent que... etc.

C'est tout le paradoxe d'un fait nucléaire qui préserve des capacités dans les Armées qui les mettent en oeuvre : les ravitailleurs et les missiles de croisière supersonique dans l'Armée de l'Air, ce que j'ai pu dire dans la Marine plus haut. Paradoxe que le fait nucléaire grève les forces conventionnelles et les maintiennent pourtant à un certain format de quantités et d'exigences.

Le billet est très intéressant, j'ai déjà eu ce débat par ricochet sur mon blog.

Je t'inviterais même à le signaler à nouveau en invitant au débat...

Anonyme a dit…

Le principe même de la dissuasion réfute l'argument de la "diplomatie" permise par la FAS. Aucun chef d'Etat censé n'irait faire de chantage nucléaire. Le missile ne peut être envoyé que si le point de non retour est franchi. Ou alors, ce n'est plus de la dissuasion. L'argument financier ne pèse pas très lourd face aux limites de la FAS. Sa portée ne permet pas d'espèrer viser autre chose que l'Europe ou le Maghreb. Useless. Enfin, un porte-avion embarquant des Rafales "nucléaires" n'arriverait jamais à portée d'un pays qui nécessite l'usage de la force nucléaire. S'il le pouvait, alors cela voudrait dire que le pays en question peut être contrôlé / neutralisé / détruit par des moyens conventionnels.

L'existence de la FAS est une vaste blague. L'armée devrait commencer à faire le ménage dans ses rangs avant que les gestionnaires de Bercy s'en chargent directement. Et là, ça fera autrement plus de dégats. Il est temps de tourner la page De Gaulle / du délire collectif. Face à Bercy, quand on défend tout, on n'obtient rien. Il faut être plus malin.